Cette série podcast de The Funambulist en français est dédiée aux histoires et aux luttes des quartiers populaires de France et des colonies d’outremers. Des Minguettes de Vénissieux à la Cité Pierre Lenquette de Nouméa, des Bosquets de Montfermeil aux Flamants de Marseille, du Firminy Vert au Chaudron de Saint-Denis La Réunion, notre objectif est de prendre une modeste part à la transmission intergénérationnelle de l’histoire des luttes des quartiers. Afin de ce faire, nous avons décidé de partir du particulier (un seul quartier par épisode) pour arriver au général dans les similitudes que ces conversations ne manqueront pas de générer. Comme pour tous nos autres projets, notre espoir est de cultiver les formes de solidarité entre initiatives politiques prises à l’encontre des structures racistes et coloniales. Ecoutez les autres épisodes en suivant ce lien.
Pour ce septième épisode, nous allons à Nanterre. Nanterre, c’est un petit bout d’Algérie en région parisienne et c’est un pan d’histoire que nous vous proposons de retracer dans cette conversation. La Folie, la Rue de Lens, le Pont de Rouen, les Pâquerettes, la Rue Dequeant, la Rue des Bels Ebats et la Rue du Pré. Les sept bidonvilles que comptait la ville ont été le lieu de vie de nombreux Algériens et Algériennes dans la deuxième partie de la Révolution algérienne et notamment au moment d’octobre 61, ainsi que dans les années qui ont suivi. Au moment de leur destruction par l’État français au cours des années 60, un certain nombre de leurs habitant.e.s ont été relogé.e.s dans des cités HLM mais beaucoup d’autres se sont vus attribuer un logement en cités de transit.
Les cités de transit: Gutenberg, André Doucet, Pont de Bezons, les Grand Prés, la Folie, les Marguerites et… les Potagers. Leur urbanisme n’a pas grand chose à envier à un camp, sans espace de socialisation et aux entrées contrôlables. Ce contrôle est d’ailleurs souvent confié à des anciens de la contre-révolution coloniale en Algérie. Le règlement intérieur est drastique. Celui-ci (je cite Mogniss H Abdallah dans un article qu’il avait écrit pour le 21ème numéro de The Funambulist à ce sujet) “interdit à l’occupant, logé à titre précaire, provisoire et momentané, d’héberger une ou plusieurs personnes sans autorisation de la société gestionnaire”. La plupart d’entre elles ne devaient pas durer plus de cinq ans; leurs habitant.e.s y ont finalement vécu pendant 15 ans. Les Marguerites et les Potagers, elles, sont construites en dur. Les Marguerites, en bordure de l’autoroute A86 sera détruite en 1995. La Cité des Potagers, elle, arrive au terme de sa vie en 2020 et le permis de démolir a été apposé sur ses murs en juillet dernier.
Avec Mogniss H. Abdallah, nous avions réalisé une première partie de cet épisode en aout au milieu de la cité elle-meme (voir cette première partie ici) mais nous souhaitions réaliser une deuxième partie avec un témoin clé de la cité, Belkacem Lahbaïri dit “Baba”. Voici un petit portrait écrit par l’Agence IM’média dans les années 90 et un film correspondant:
Belkacem Lahabaïri, surnommé Baba, est un personnage au rire communicatif, dans la vraie vie comme sur scène. A 17 ans, il commence à jouer dans Week-end à Nanterre (1976 – 1980), une troupe pionnière du théâtre « beur », le rôle d’un « lascar » embarqué dans des embrouilles qui l’emmène en prison. Mais comme il dit, «Il existe deux Baba : celui de la vie qui aime bien rigoler avec ses potes, et le Baba sur scène : quand tu rentres dans un personnage tu ne vas pas jouer ce que tu fais dans ta vie. »
Dans le réel, Baba n’a rien du personnage lugubre de voleur, de violeur ou de dealer, rôle dans lequel les Maghrébins sont trop souvent enfermés au cinéma. Et sur scène, il entend sortir de cette image plaquée du délinquant : il joue avec son « complice » Mustapha Arab dit Belade, un ancien de Week-end, dans des satires jubilatoires comme
César ou la Fureur de Vivre (1985) et plus tard Bienvenue au Chomdû (1990) ou encore Et Dieu créa l’ANPE (1994). Il réalise et met en scène un montage de textes, Bonjour Mr. Baudelaire, au revoir Mr Hugo, fait des one-man show, dont KoKo Bonbon (1986), ou encore Dédale et Icare, d’après Dario Fo (1987), deux pièces mises en scène par Hamma Méliani de l’Aspic théâtre. Dans le mythe grec revisité par Dario Fo, le message est qu’a rien ne sert de fuir dans le rêve, seul l’engagement dans le réel peut faire échapper du labyrinthe. Et « qui tremble jamais ne s’envole », déclame Baba, du haut d’une cage d’escalier de sa cité, devant des enfants amusés.
Le réveil et l’envol, c’est le retour aux « joies de la banlieue » : en 1986, Belkacem Lahabaïri lance l’association des Potagers qui a pour but l’animation et le développement socio-culturel dans le quartier du petit-Nanterre, ainsi que le relogement décent des habitants. « Malheureusement, il a fallu deux morts pour qu’on reloge une centaine de familles » déplore-t-il (cf. aussi Les Potagers, autopsie d’une cité, 20min. 1987 ; et L’Habitat en mouvement, 11 min. 1991, réal. Belkacem Lahabaïri).
Cependant, il n’est pas à un paradoxe près : dans un clin d’oeil aux rêveurs, il conclut : « Le théâtre, c’est ça : nous permettre de sortir de la cité, de ses problèmes, de tout. Pendant une heure ou deux, on est ailleurs ! »
Belkacem Lahbaïri travaillera une douzaine d’années à l’agence IM’média, et finira par quitter sa cité pour vivre de son métier de comédien au Québec.